ÉNORME de Sophie Letourneur : subversif et intelligent pied de nez au cinéma français

Si vous n’en avez pas encore entendu parler c’est que vous vivez probablement dans une grotte mais le dernier film de Sophie Letourneur fait polémique. Pour quelles raisons me demanderez-vous? La réponse est simple : les gens parlent sans savoir, comme souvent. Une bande annonce un peu trop légère, des pseudos spécialistes et des enr(g)agés du bocal qui s’excitent sur un thème plutôt que sur un film dans son entièreté : et nous voilà partis pour une polémique aussi stérile que le désir d’enfant du personnage de Marina Fois dans ÉNORME.

Juger un livre à sa couverture ou un film à sa bande annonce, c’est une pratique de plus en plus courante. En 2014, le journaliste Chris Beney écrivait ces mots concernant les bandes annonces :

Les articles sur les teasers ou les trailers sont bien plus lus, partagés et commentés que n’importe quelle critique de film. Pas de crainte de se faire spoiler, pas besoin de prendre 2 heures de son temps pour voir un film avant et savoir de quoi on parle : 2 minutes suffisent pour regarder en entier ce dont tout le monde est en train de parler et participer au débat, en étant aussi légitime que n’importe qui.

Mais entre dire « ce film a l’air mauvais, je n’irai pas le voir  » et faire une critique assassine voire accusatrice d’un film dont on a vu un montage accéléré : il y a un monde que beaucoup ont franchi ces derniers jours. Et malheureusement pour eux, ces critiques m’ont donné l’envie d’aller découvrir de moi-même ce film improbable. Il me semblait étrange qu’une actrice engagée comme Marina Fois se soit laissée embarquer dans un film qui, si on écoute certains, était un pamphlet anti féministe, anti avortement et j’en passe. Alors, j’ai vu le film. J’ai lu les critiques des uns et des autres. J’ai écouté pendant plusieurs heures les différentes interviews des deux interprètes (Jonathan Cohen et Marina Fois). Et je reviens aujourd’hui avec un avis bien tranché.

Un objet cinématographique important

ÉNORME est un film important. Il prend de la place dans le paysage cinématographique français et à vrai dire, ça fait du bien. Sophie Letourneur offre une comédie (qui n’en est pas vraiment une d’ailleurs) subversive, franche, incroyablement drole et surtout très intelligente.

La bande annonce n’est effectivement pas représentative du film qui, comme le dis si bien Jonathan Cohen, « parle de lui même ». ÉNORME est un film vraiment drole, c’est un fait. Mais son coté comique est rapidement rattrapé par le coté profond et dramatique de la situation.

Sophie Letourneur nous propose un petit bijou de cinéma, avec des choix assumés et brillants. En effet, elle offre un film qui ne prétend rien et qui pourtant, nous dit tout. Une œuvre presque documentaire qui nous invite à la rejoindre. Le format de l’image (en 4/3 ce qui vous donne l’impression que l’écran est un petit carré et non pas un rectangle) invite le spectateur à observer la vie des personnages. On nous dirige tout de suite vers une sorte de voyeurisme propre au documentaire. Le choix du casting va également dans ce sens avec une bonne partie des interprètes qui ne sont pas des acteurs mais des personnes jouant leur propre rôle (le chaman, les infirmières etc) ce qui donne un coté réaliste voulu et assumé par la réalisatrice.

L’écriture de Letourneur est également très forte. Les personnages sont totalement improbables. Elle renverse les codes et nous dérange. Une femme, artiste, dévouée à son art et beaucoup moins à son mari. Un homme, sans aucune autre ambition que celle de servir sa femme dans tous les aspects de sa vie. Une écriture sans failles pour une remise en question de sujets forts dont il était urgent de s’emparer : les grossesses involontaires imposées, la maternité, la dépendance affective, le libre arbitre, la place des pères pendant la grossesse, la réappropriation de son corps, les violences sexuelles, les stéréotypes de genres etc..

Le coté documentaire amené par l’ajout d’acteurs non professionnels, notamment les sages femmes, ajoute une touche de réalisme profondément nécessaire. Il n’est pas question de sublimer l’accouchement ou de le rendre ignoble. Il est ce qu’il est : un moment important, difficile, douloureux mais qui peut très bien se passer si l’on est bien entourée. C’est l’une des scènes d’accouchement les plus réalistes que j’ai pu voir au cinéma, avec ce contre champ qui a été filmé dans une véritable salle d’accouchement. La longueur de la scène est également important.

Le film manque peut être parfois de clarté sur les intentions, mais ne tombe jamais là où d’autres auraient plongés et c’est cela une grande œuvre. Si vous voulez voir un film qui dénonce, donne des solutions, donne la parole à tous et vous impose des leçons de morale : regardez des reportages sur le sujet ou des documentaires sur France TV. Ici, nous sommes au cinéma. Et un grand film, c’est un film qui parvient à parler de certains sujets tout en offrant une expérience en salles vraiment incroyable. L’hypocrisie d’une partie de la critique et des médias me laisse parfois sans voix. Le cinéma n’est pas fait pour offrir une ligne de conduite aux spectateurs. Et il n’en a jamais été question. S’insurger parce qu’un sujet est évoqué sans pour autant être résolu correctement, c’est stupide. Soulever des questionnements, mettre en lumière des sujets ou des situations, raconter des histoires : voilà ce qu’on attend d’un film. Et Sophie Letourneur m’a offert l’une des plus chouettes séances depuis longtemps.

Une comédie au dispositif comique original

Sophie Letourneur, finement, met en scène un couple étonnant. Claire Girard (Marina Fois) n’a aucun contrôle sur sa vie. Non pas parce qu’on lui a retiré mais parce qu’elle l’a donné à son mari Frédéric (Jonathan Cohen). Elle est une grande pianiste de renommée internationale et elle se consacre intégralement à sa carrière. Sans une ambition féroce mais simplement parce qu’elle ne souhaite faire que ça. Avec Fred, ils ont trouvé un équilibre dans cette relation improbable et pourtant si touchante. Il est son manager, son équipier, son assistant, son cuisinier, son amant, son psy, son « spa » : il est là pour elle et il ne se définit que par ça. Il est le coté accessible de Claire, il plaisante aux réceptions, accepte les contrats, fait l’amour sur demande et ne s’arrête jamais. Claire quant à elle, n’a pas (ou plus) les codes sociaux. Elle est concentrée, vibrante de talent mais aussi totalement déconnectée de la réalité. Rien de ce qui se rapporte à sa vie n’est digne de son intérêt, pas même sa contraception qui est également gérée par son mari qui lui fait avaler sa pilule après que l’alarme ait sonnée chaque soir.

Jonathan Cohen et Marina Fois dans ENORME de Sophie Letourneur (2020)

Sophie Letourneur nous dépeint donc, dès le départ, une situation et un couple totalement unique. Ils sont beaux, amoureux, tendres, drôles mais aussi extrêmement dépendants l’un à l’autre.

Quand Frédéric a un déclic et décide d’avoir un enfant, il n’en informe donc pas sa femme. Il prend cette décision comme quelque chose qui fait partie de son rôle et de sa vie. Sa femme, n’aura qu’à porter l’enfant, qu’elle le veuille ou non et pourra ensuite retourner à son piano. Il échange donc les pilules par des placébos et empêche Claire de s’apercevoir de son état avant la fin du délai légal pour avorter. Quand Claire apprend qu’elle est enceinte, c’est trop tard. S’ensuit alors 6 mois de grossesse non désirée, où chacun reprend son rôle comme si c’était juste un contretemps. Claire, totalement déconnectée face à Frédéric qui ne laisse aucune place à sa femme dans cette situation.

C’est un acte abominable que d’imposer une grossesse à quelqu’un, sans son consentement. C’est puni par la loi. Et le film, n’a, à aucun moment le discours inverse, au contraire, une scène confirme les sanctions que Frédéric encourt.

Ce qui dérange la critique et les spectateurs, c’est que Sophie Letourneur met en scène une situation qui nous met mal à l’aise. Pourquoi?

Parce qu’elle met en avant plusieurs choses qui sont encore très mal vues dans notre société. Une femme qui n’a pas envie d’avoir d’enfants, c’est encore aujourd’hui, quelque chose que beaucoup ont du mal à envisager. Comme ci la maternité était un but imposé pour toutes les femmes. Claire n’en a ni le besoin, ni l’envie, ni la place. Et quand elle tombe enceinte, en pensant que c’est un accident, oh, quel étrange phénomène : non, son instinct maternel ne se déclenche pas tout à coup ! Claire n’est pas heureuse d’être enceinte. Elle n’appréhende pas la venue de cet enfant comme un cadeau : elle programme son accouchement afin d’en être débarrassé le plus vite possible. Elle ne supporte pas l’attention dont elle est victime de la part de son mari, des médecins et de son entourage.

Une autre question est alors mis en avant : les femmes enceintes, ont-elles le droit à la parole? Toucher le ventre d’une femme enceinte, sans son consentement, comme si elle était un objet, sans même se demander si elle est à l’aise : c’est profondément ancré dans notre société. Une femme, n’en est plus une, à partir du moment où elle est enceinte. Et tous, considèrent que la grossesse et la maternité sont un long fleuve tranquille qui rend profondément heureuse la femme en question. A aucun moment Claire ne va se sentir concernée par l’enfant. Elle va s’imposer à la fin de sa grossesse, reprenant une certaine estime d’elle même, ne supportant plus que sa vie et ses décisions soient dirigées par d’autres. Mais l’enfant, restera du début à la fin, le désir de son mari, pas le sien. Il n’y a pas de scène de bonheur ultime avec Claire qui tient son enfant dans ses bras ou un plan de la famille heureuse. Sophie Letourneur montre avec gravité ce non désir d’enfant qui n’est respecté par personne. Claire reprend le piano, Frédéric a son enfant. Et le film s’arrête là.

Et, évidemment, ce qui dérange le plus c’est la situation incroyable et dramatique que dépeint le film avec un humour que beaucoup associent à de la légèreté. Or, c’est là tout l’intelligence du film. Avec une écriture fine et grinçante, Sophie Letourneur ne prétend rien d’autre que de mettre en lumière un drame qui soulève de nombreuses questions.

ÉNORME est une comédie originale, écrite avec beaucoup d’humour et d’intelligence, portée par des acteurs vraiment très justes. Les sujets de fond que Sophie Letourneur porte à notre attention sont effectivement très importants et sont traités sous une forme originale qui donne beaucoup d’espoir dans le cinéma français. Alors pour ceux qui veulent se faire un avis par eux mêmes : mettez de coté vos aprioris sur les comédies françaises et foncez.

LES PARFUMS de Grégory Magne : un cinéma classique et inodore

Anne Walberg était un grand nom dans le domaine du parfum, mais un jour, elle perd son « nez » et commet une erreur. Quatre ans après, elle est toujours blacklistée et se contente de fabriquer des parfums pour les supermarchés ou autres projets farfelus ce qui n’arrange pas son caractère, très arrogant et solitaire. Pour l’accompagner dans ses déplacements, elle engage Guillaume, un chauffeur en plein déboire judiciaire pour la garde de sa fille. Les deux personnages vont alors s’apprivoiser dans un road movie classique et inodore…

Le retour dans les salles de cinéma est évidemment aussi synonyme de déceptions. Mais croyez le ou non, cet ennui ou cette colère qui gronde en moi pendant une séance m’avait manqué tout autant que les émotions fortes ! La première fut pour La bonne épouse, le jour de la réouverture, ce qui donnait le ton. Mais aujourd’hui, je vous parle d’un film qui m’a non seulement déçue mais aussi mise en colère !

Emmanuelle Devos en tête d’affiche, sur une œuvre parlant du métier de « nez » si peu connu, c’était quand même assez vendeur ! Malheureusement, Grégory Magne propose une œuvre sans odeur, sans émotions, sans intérêt et reprenant un schéma narratif épuisé.

La simplicité ou la tradition au cinéma, c’est un bon choix quand on sait y apporter son style, ses idées et lui donner un nouvel éclat. Mais à l’inverse, si on ne s’approprie pas le film, qu’on se repose uniquement sur ses comédiens et qu’on plante sa caméra face à eux sans rien y apporter de plus : il y a des chances pour que ça capote. Car un bon comédien, ne peut pas faire de merveilles lorsqu’il est dirigé par un réalisateur qui ne sait pas ce qu’il fait et qui n’a pas d’idées. D’habitude tant habitée par ses rôles, Emmanuelle Devos apporte ici une sorte de tendresse dans son personnage mais ne parvient à aucun moment à atteindre une crédibilité quelconque. Tandis que Grégory Montel, excellent comédien au demeurant (notamment dans la série Dix pour Cent) propose un jeu poussif et caricatural.

Quant au scénario, il est d’un ennui incroyable et sans aucune originalité si ce n’est le domaine professionnel du personnage féminin qui est rarement abordé à l’écran. Le schéma narratif traditionnel est gentiment suivi sans jamais rien apporter de moderne. Rien, dans la mise en scène n’est réellement passionnant. Les plans s’enchainent, sans rien nous dire de plus que l’action qu’ils racontent, la composition n’est pas recherchée, même la photographie est inexistante. Grégory Magne raconte une histoire banale, nous expose des personnages et puis s’en va !

Il faut cependant reconnaitre que le réalisateur ne tombe pas complètement dans le cliché et ne mise pas sur une histoire de romance qui aurait été, pour le coup, totalement attendue. C’est probablement la seule surprise du film, et c’est bien maigre.

Cela faisait longtemps que je n’avais RIEN ressenti devant un film si ce n’est de l’ennui. Malgré un regard tendre sur ses comédiens, Grégory Magne signe un film trop classique, sans jamais y apporter une touche de style ou de modernité qui auraient pu le rendre un tantinet plus excitant. Ce genre de film provoque en moi une certaine colère. Pourquoi écrire un film, monter un dossier, trouver un producteur, passer des jours en tournage, diriger une grande comédienne française, s’entourer de spécialistes des odeurs, citer Herzog (La grotte des rêves perdus) … si c’est pour ne rien avoir à dire? Il n’y a pas forcément de grands discours derrière chaque film, évidemment, mais une œuvre qui ne propose RIEN ni dans sa forme ni dans son fond, est soit une erreur de parcours, soit un mauvais film assumé.

Les Parfums, de Grégory Magne, en salles depuis le 1er Juillet 2020.

MADRE de Rodrigo Sorogoyen : puissant portrait d’une mer(e) agitée

Un long plan séquence ouvre ce film qui me marquera encore longtemps. En Espagne, Elena (interprétée par Marta Nieto) reçoit l’appel de son fils âgé de 6 ans, Ivan. Il est seul, sur une plage française et il n’a aucune idée de l’endroit où se trouve son père avec qui il est venu en vacances. S’ensuit une conversation tendue, entre une mère paniquée qui essaie de rassurer son fils et ce dernier, seul et terrorisé à des centaines de kilomètres de chez lui. Rodrigo Sorogoyen, dès ces premières minutes, reste fidèle à son univers porté par une tension palpable. Après le thriller politique El Reino ou son incroyable polar Que Dios Nos Perdone, le réalisateur espagnol revient avec un film puissant mais étrangement, extrêmement doux.

Les premières minutes de Madre, ne laissent pas présager le calme et la douceur qui vont s’emparer, en grande partie, de la suite de l’œuvre. Elles ressemblent beaucoup à celles de El Reino : un plan séquence rythmé, tendu, caméra à l’épaule qui suit le personnage principal dans une situation euphorique. La différence c’est que le réalisateur marche à l’envers cette fois. Dans El Reino, la séquence est joyeuse, piquante, il s’agit d’un repas entre collaborateurs qui va ensuite annoncer la tension et le coté dramatique du film. Avec Madre, Sorogoyen prend le parti inverse en commençant son film par LA scène de tension du film avant de basculer dans une œuvre plus contemplative, profonde et douce. Une scène qui, à l’origine, avait été proposée comme court-métrage en 2016 par son réalisateur.*

10 ans ont passé depuis ce terrible coup de fil. On comprend vite que Ivan n’a jamais été retrouvé. Elena vit désormais en France, près de la plage où son fils à disparu. Elle travaille, a un homme dans sa vie et se balade sur le sable tous les jours. Un jour, elle croise le regard de Jean, un adolescent en vacances dans le coin. Une relation tendre et ambiguë va alors se créer et entrer en conflit avec ses souvenirs du drame.

Loin de la tension parfois explosive de ces deux œuvres précédentes, le réalisateur parvient ici à trouver un certain équilibre, non sans instaurer une ambiguïté qui questionne notre moralité par bien des façons.

Tout, dans sa réalisation, sa mise en scène et son esthétique ramène le spectateur au cœur de la mécanique même de Madre : la différence de points de vus et la double lecture. Elena pense avoir (re)trouvé quelque chose chez Jean auquel elle compte bien s’accrocher coûte que coûte. Jean, de son coté, fantasme une relation amoureuse. Quand à l’entourage des deux concernés, ils sont à la fois jaloux, apeurés ou en colère. La famille de Jean voit en Elena une dangereuse psychopathe, son ancienne petit amie voit en elle une rivale et ses amis, une conquête mature. Quand au compagnon d’Elena, il voit en Jean une menace puis il comprend la projection qu’il représente et tente de l’éloigner.

On assiste aussi à une autre barrière : celle de la langue et des origines. Elena est espagnole, elle sort avec un homme espagnol également. Elle a gardé un lien avec son pays mais vit depuis plus de 10 ans dans cette petite région française. Son accent est prononcé, tout le monde connait son histoire, elle est vue comme l’étrangère un peu bizarre et isolée. Jean quant à lui, est un jeune homme à succès qui fait du surf et qui est à l’aise en société ainsi que dans son milieu social. Les deux personnalités sont aux antipodes l’une de l’autre, et avec cette construction de personnages, le réalisateur instaure déjà une double lecture de l’histoire qu’il va nous raconter.

Mise en scène très froide et très précise pour montrer la scission entre les deux personnages

En obligeant le spectateur à se montrer extrêmement vigilant, Rodrigo Sorogoyen joue sur les codes scénaristiques et offre une œuvre aussi belle que complexe. Il faudra beaucoup d’attention pour déceler ce que Elena voit en Jean, toute sa souffrance, son envie, son amour pour lui en tant que jeune homme. Ivan n’est jamais mentionné, mais il est là, partout, dans chaque regard qu’elle porte à Jean, dans chaque geste tendre, chaque rire. La souffrance d’Elena est incroyablement profonde et dépeinte avec une telle pudeur qu’il est parfois difficile de la saisir. Elle l’enveloppe entièrement, la nourrit autant qu’elle la détruit. Et c’est la beauté de l’œuvre de Sorogoyen de parvenir à ne jamais tomber dans le pathos. A tel point qu’on en vient parfois à se demander si elle n’est pas simplement tomber amoureuse de l’adolescent. Il joue sur les codes, l’ambiguïté, la morale, la douleur et les préjugés. Quant à Marta Nieto, elle offre une prestation incroyable et extrêmement complexe où elle incarne la douleur plutôt que de l’exprimer*. Et dans un film avec si peu de dialogues, avec des scènes très quotidiennes et une montée des émotions aussi lentes, la prestation de l’actrice est absolument bluffante de réalisme.

Marta Nieto dans MADRE

Pour cela, le réalisateur instaure une sorte de transition visuelle puissante en se servant de la mer comme personnage à part entière. Je crois n’avoir jamais vu de tels plans. Cette plage, qui reste le seul lien d’Elena avec son fils disparu, rythme depuis 10 ans sa vie et ses émotions. Une mer agitée, sombre, profonde ou au contraire, bleue, calme et douce : ce type de plan revient régulièrement entre certaines scènes. Comme pour illustrer les sentiments des deux personnages et les conséquences de leur relation au fur et à mesure qu’ils prennent de l’ampleur.

Le temps. Perdu, retrouvé, savouré : c’est aussi le cœur de l’œuvre de Rodrigo Sorogoyen. Dans des scènes quotidiennes comme des balades, des verres, des sourires, des soirées, une après-midi devant un film : Elena y voit des projections de ce qu’elle n’a jamais pu vivre avec son fils et Jean y voit une relation amoureuse qui se noue. De ces instants volés et chéris, une relation forte, portée par le désespoir d’Elena et la fougue de Jean, va naitre. Une relation qu’il est difficile de comprendre et d’accepter pour tous les autres personnages, mais aussi pour le spectateur. On est agités, on se questionne, on appréhende et Sorogoyen nous pousse dans nos retranchements jusqu’à la dernière minute. Avec une douceur mais aussi une dureté sans pareille, la douleur d’Elena est analysée jusqu’au dernier moment.

Les portraits de femmes, aussi complexes, aussi bruts, et aussi réussis sont très présents dans le cinéma espagnol. MADRE est un film puissant et douloureux si on y prête l’attention qu’il demande.On y retrouve parfois un peu de JULIETA (2016) de Pedro Almodovar, porté par deux actrices spectaculaires (Emma Suarez et Adriana Ugarte), qui raconte l’histoire de cette mère qui ne parvient pas à refaire sa vie sans l’ombre de sa fille qui a disparue depuis des années.

Dans les deux cas, cette douleur est tellement ancrée en elles, qu’il est difficile de la filmer. Et pourtant, le cinéma espagnol parvient de toute évidence à réussir cet exploit. Ces deux films, portés par des actrices absolument impressionnantes, m’ont paru assez proches dans le traitement de cette souffrance intérieure, même si MADRE me semble plus profond par ses choix esthétiques cités ci dessus et moins accessible tant il peu paraitre âpre par moment.

Adriana Ugarte dans Julieta de Pedro Almodovar

Je vous encourage vivement à vous tourner vers ce film qui, à mon sens, est d’une puissance que l’on voit rarement à l’écran.

Madre de Rodrigo Sorogoyen, sortie en salles le 22/07/2020

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THE POLITICIAN : un deuxième tour pour Ryan Murphy

J’ai enfin eu le temps de finir la nouvelle saison de The Politician, série satirique signée Ryan Murphy.

Ryan Murphy c’est qui? Eh bien mes chers amis, c’est un sacré bonhomme ! Réalisateur de nombreuses séries à succès comme Nip Tuck, Glee, American Horror Story, Pose ou encore Feud sans oublier le grand écran avec son film Mange, Prie, Aime sorti en 2010 : Ryan Murphy est un auteur prolifique, aussi controversé qu’admiré et pour cause. Comme vous avez pu le constater, avec la liste non exhaustive ci dessus, le réalisateur aime provoquer son public et propose des choses toujours extravagantes, improbables voir complètement glauques.

Alors quand Netflix a annoncé sa première collaboration avec cet ovni du petit écran, cela a tout de suite piqué ma curiosité. A l’heure actuelle, une nouvelle œuvre de Ryan Murphy a vu le jour sur la plateforme, il s’agit de la série HOLLYWOOD, mais je vous en reparlerai bientôt.

THE POLITICIAN : l’arrivée remarquée de Murphy sur Netflix

Lors de son lancement en septembre 2019, la série avait divisé la critique : rafraichissante pour certains, creuse pour d’autres. Pour ma part, ce fut une sacrée surprise. The Politician raconte les ambitions politiques du jeune Payton Howbart (Ben Platt) qui pense être le prochain président des Etats Unis. Entouré d’une équipe de campagne haute en couleurs dès le lycée, il organise et contrôle sa vie dans l’unique but de gravir les échelons de la politique. Un pitch digne de Murphy, avec une réalisation lumineuse, des personnages complétements barges et une satyre politique rondement menée.

THE POLITICIAN SEASON Season 1 CREDIT Courtesy of NETFLIX PICTURED Ben Platt

Dans la première saison, comme une longue introduction au destin de Payton, on le suit dans sa campagne pour devenir délégué de son lycée. Déjà, les tensions et les coups bas fleurissent. Mais Murphy nous plonge également dans le quotidien et l’intimité de Payton, en nous montrant son univers familial (absolument décadant) ainsi que ses failles personnelles. Durant toute la saison, on assiste à une métaphore du système politique américain dans cette cour de lycée. Une belle réussite, satyrique et flamboyante. La saison se clôture ensuite par la promesse d’une suite grandiose lorsque Payton décide de s’installer à New York pour se présenter au Sénat local.

Une deuxième saison réussie mais pas très inspirée

Malgré un début dynamique, la saison deux peine à trouvé le bon ton. Murphy n’arrive pas à trouver un sujet fort à traiter et cela pèse sur toute la saison qui se perds finalement dans des histoires sans intérêts (coucheries, trahisons, etc).

Le casting reste tout à fait impressionnant et Ryan Murphy sait comment faire vivre son histoire à l’image. Malheureusement, le scénario est loin d’être passionnant et la série traine en longueur. Et c’est là que se trouve ma déception : cette saison est un enchainement de situations plus improbables les unes que les autres, qui traitent de sujets certes intéressants (la polygamie, l’écologie, la politique, la corruption etc) mais sans jamais aller au bout. L’intérêt de la série perd alors un peu de son essence.

L’une des réussites de cette saison est néanmoins le traitement du personnage de Gwyneth Paltrow qui incarne avec brio la mère flamboyante de Payton. Elle décide alors de se présenter aux élections gouvernementales pour mettre en avant le droit des femmes et elle se bat dans une campagne passionnante où elle incarne finalement ce clivage de plus en plus présent aux États Unis.

Un clivage que l’on ressent également dans l’épisode sur les électeurs où une mère et sa fille se dispute sur le sujet de l’écologie. Un grand thème qui peut réunir toutes les générations face à un même combat : c’est ce qui manque cruellement à la politique actuelle. Et Murphy parvient, dans cet épisode, à engendrer une réelle réflexion autour de ses sujets.

La saison 2 parvient donc malgré tout à immiscer quelques idées pertinentes sur le monde actuel tout en gardant sa patte esthétique si spécifique. Mais la globalité de la série est loin d’être satisfaisante et c’est bien dommage.

Malgré tout, je vous recommande de vous pencher au moins sur la première saison qui, à mon sens, fourmille de belles idées, le tout associée à l’esthétique si particulière de ce cher Murphy.

Disponible sur Netflix.

MODERN LOVE : chroniques nostalgiques

Telle une tasse de thé chaud qu’on s’octroie un soir d’hiver en regardant la neige tomber par la fenêtre, Modern Love nous enveloppe de cette sensation délicate et réconfortante qu’est la nostalgie.

Adaptée de la célèbre chronique du New York Times du même nom, Modern Love, dépeint avec une certaine franchise, l’amour au XXIe siècle. Et ces petites capsules de vies font du bien.

Loin du chef d’œuvre télévisuel, cette mini série de John Carney raconte huit histoires d’amour qui questionnent chacune une problématique différente : le temps, la confiance, la protection, l’estime de soi, l’adoption ou le rapport familial. Avec un casting surprenant et chaleureux (Cristin Milioti, Dev Patel, Tina Fey, Anne Hathaway, Andrew Scott, Olivia Cooke ou encore Ed Sheeran qui fait une apparition) l’objectif de la série est de vous offrir une douce parenthèse. Cela ne marche pas toujours, et la qualité de la série n’est pas toujours au sommet, cependant, les sensations et les rêveries que déclenchent certaines histoires sont belles et bien là.

J’ai eu un sacré coup de cœur pour l’épisode 3, « Take Me as I Am, Whoever I Am », qui m’a donné envie de vous parler de cette série. Même si le thème général de la série ne vous parle pas plus que ça, je vous encourage à voir cet épisode.

Il s’agit de l’histoire de Lexi qui raconte sa bipolarité et surtout son quotidien depuis qu’elle cache sa maladie à tous ceux qui la connaissent. Et croyez moi, Anne Hathaway dans ce rôle est incroyable. J’ai trouvé que le traitement de cette maladie mentale, si peu exposée, était vraiment beau. On assiste à une véritable souffrance mais aussi à l’acceptation si difficile de soi même avant de pouvoir faire entrer d’autres personnes dans sa vie. C’est un épisode qui m’a vraiment touché et que je vous conseille fortement.

J’ai également beaucoup aimé « When the Doorman Is Your Main Man » qui ouvre la série et raconte la relation tendre et privilégiée d’une jeune femme avec son portier ainsi que « At the Hospital, an Interlude of Clarity » qui nous offre une belle réflexion sur le besoin d’attention et les relations éphémères.

Modern Love, disponible sur Amazon Prime Video.

Une deuxième saison est prévue pour cette année.