Au cinéma aussi, c’est la rentrée. Les derniers films projetés à Cannes sortent enfin dans nos salles et nous accompagnent sur le difficile chemin de la reprise. Et quoi de mieux que de commencer une nouvelle année en découvrant le travail des femmes au cinéma ? Mettre en avant les femmes dans le 7e art, c’est un pari que beaucoup tentent de relever notamment en programmant de plus en plus de femmes réalisatrices dans les festivals. En 2018, une charte à été signée par le Festival de Cannes pour la parité et la diversité au sein des festivals de cinéma. Un an après c’est plus de 47 festivals signataires à travers le monde. En 2019, au total, 19 films sur les 69 de la sélection officielle du festival de Cannes ont été réalisés par des femmes. Nous sommes encore loin de la parité exemplaire… En ce mois de Septembre, je vous propose donc de découvrir deux films présentés à Cannes, écrits, réalisés et portés par des femmes : Une fille facile de Rebecca Zlotowski et Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Féminité, sensualité, liberté sont les maîtres mots de ces deux films, parfait pour finir l’été en beauté.
Une fille facile de Rebecca Zlotowski à été présenté lors de la Quinzaine des Réalisateurs et a remporté le prix SACD1. Il est peu probable que vous n’en ayez pas encore entendu parler puisque le choix de la réalisatrice pour son rôle principal a suscité de vives réactions depuis quelques mois. En effet, il s’agit de Zahia Dehar, l’ex escort girl dont le nom est devenu célèbre lors de la médiatisation du scandale sexuel au sein de l’équipe de France de football en 2010. Un choix qui se révèle plutôt pertinent et qui permet à Rebecca Zlotowski de jouer alors sur l’image de sa protégée ainsi que sur le titre de son film. Une fille facile est un terme souvent employé dans notre société pour parler d’une femme qui ne se préoccupe pas des principes moraux imposés par la société et qui vit sa sexualité de manière très libre. Un terme que l’on emploi souvent pour une femme ayant de nombreux partenaires sexuels par exemple. Dans le film, Sofia (jouée par Zahia) est une jeune femme de 22 ans qui se sert, consciemment, de son physique pour vivre des moments privilégiés avec des hommes riches. Sexe, liberté, cadeaux : elle joue de son apparence et des fantasmes qui lui sont attribués pour atteindre ce qu’elle souhaite. La réalisatrice a fait le choix de raconter cette histoire à travers le regard de Maina (interprétée par la jeune Mina Farid), la cousine de Sophia. Une ado de 16 ans, en proie au doute quant à son avenir et à son image, en pleine découverte du corps et de ses sensations. Un regard doux, parfois accusateur, souvent admiratif qui permet à la caméra de filmer le corps de Zahia avec tendresse et élégance. La vulgarité n’est jamais présente à l’écran, malgré quelques scènes de sexe très crues. Un conte d’été, une parenthèse enchantée sur la féminité, la sexualité et la liberté, filmé avec une justesse et une douceur incroyable. Le mystère reste entier en ce qui concerne Sofia. Elle est intelligente, heureuse, épanouie et se joue des images que les autres lui collent mais nous ne saurons jamais qui elle est réellement. Une attitude assumée mais parfois épuisante. Dans un monde où la parole et les mœurs se libèrent, il est encore très difficile de s’assumer totalement lorsque l’on est une femme. Rebecca Zlotowski dépoussière le rôle de la bimbo et fait éclater les préjugés. La réalisatrice ne prône pas un seul corps et une seule manière de se libérer. Elle se sert juste d’une image parfois figée pour exprimer la complexité de cette liberté.
Au cinéma depuis le 28 août 2019. Une fille facile de Rebecca Zlotowski avec Zahia Dehar, Mina Farid, Benoît Magimel et Nuno Lopes.
Dans un tout autre contexte et une époque tout à fait différente, plongez au cœur du dernier film de Céline Sciamma (Tomboy, Bande de filles) : Portrait de la jeune fille en feuavec Adèle Haenel et Noémie Merlant. C’est certainement le film qui m’a le plus touchée à Cannes. Présentée en compétition officielle où elle obtient le prix du scénario, Céline Sciamma semble à première vue offrir au public une histoire d’amour banale, lente et en costumes. Mais le film est tellement plus intéressant que ça. Tout comme dans le film de Rebecca Zlotowski, il s’agit ici d’une histoire de regards. Les femmes se regardent, s’observent, s’acceptent, se désirent et finissent par s’aimer. Céline Sciamma parvient à nous offrir un film sublime (mise en scène, réalisation, photographie) tout en banalisant des sujets qui sont pourtant encore aujourd’hui très difficiles à traiter ou à montrer à l’écran sans être catégorisés. Réussir à faire un film d’époque sur une histoire d’amour entre deux femmes, ponctué par des scènes d’avortement, de menstruations et d’érotisme, c’est du grand art. Portrait de la jeune fille en feu ne s’adresse pas uniquement à un public cible (LGBTQ+, femmes, aficionados de films en costumes etc) : c’est un film sur l’amour et la liberté qui s’adresse à tous. Et je trouve remarquable de parvenir à mettre de la banalité dans des sujets qui sont, dans la réalité, encore tellement difficiles à mettre en lumière. Céline Sciamma réussi là où beaucoup ont échoué, elle parvient à parler d’amour et de femmes sans jamais utiliser les clichés et les préjugés que nous connaissons tous. Elle propose une œuvre unique en utilisant le naturel et la sensualité là où d’autres misent sur la provocation, le drame et le sexe à outrance. Les corps sont filmés naturellement, la caméra est douce, le désir est fort mais pas exagéré, les actrices sont montrées nues sans vulgarité ni pudeur. Le quotidien de ces femmes est également filmé avec naturel : la douleur des menstruations, l’absence de celles ci, les poils qui font partie intégrante du corps féminin, le vin, la nourriture mais aussi l’ennui. Ce film est un portrait de la vie de femme, à l’époque certes, mais qui touche toutes les époques en parlant de sujets intemporels et nécessaires. Enfin une représentation de la femme qui ne soit pas exagérée, revendiquée, dramatisée, caricaturée : il s’agit d’un être humain qui a le droit de disposer de son corps comme elle le souhaite, d’avoir des choix, une vie sexuelle, des idées, des goûts etc. Un film nécessaire que je vous invite à découvrir dès que possible.
Au cinéma à partir du 18 Septembre 2019. Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma avec Adèle Haenel et Noémie Merlant.
Si vous souhaitez en savoir plus sur ces films et entendre les réalisatrices parler de leur travail, je vous conseille fortement d’aller écouter le podcast SHECANNES de Iris Brey. Il s’agit d’une collection d’entretiens qui donne la parole aux femmes du 7e art : actrice, réalisatrice, productrice etc. Il y a pour l’instant une saison avec neuf invitées notamment Rebecca Zlotowski, Céline Sciamma mais aussi Camille Cottin ou encore Alice Diop. N’hésitez pas à aller faire un tour pour écouter ces femmes parler de cinéma, de parité, de féminisme, d’expériences etc. Passionnant et enrichissant.
Et pour aller plus loin sur la question de la diversité au cinéma, je vous encourage à vous renseigner notamment sur le collectif 50/50 (créateur de la charte sur la parité) qui se bat pour faire en sorte que les femmes soient de plus en plus visibles et respectées dans le milieu.
Bonne rentrée à tout le monde, on se retrouve le mois prochain pour une nouvelle chronique !
Lilylaura Devillers – Regard Caméra
1SACD : société des auteurs et compositeurs dramatiques